La formule Bricoler l’incurable est affirmée (et affichée) pour la première fois en 1993 par l’intermédiaire du texte écrit en grand sur le mur par Mohamed El baz dans l’exposition Le Milieu du monde au CRAC (Centre Régional d’Art Contemporain) de Sète.
Un tel énoncé lui paraît « juste ». Il entre en coïncidence avec son projet d’artiste et ce qui l’interroge et le motive : « Si je me suis engagé là-dedans [dans l’art] c’est pour faire quoi ? Avec quels objectifs ? Ce n’est utile que si ça répare quelque chose dans mon rapport intime au monde. Sinon – ajoute-t-il – pour quelle raison avoir choisi d’être artiste ? »
Ainsi, à peine sorti de l’école, l’artiste place-t-il au cœur de l’œuvre la question même de l’œuvre. Et, par son entremise, il prend alors à cœur et à bras le corps les questions qui le taraudent déjà : l’appartenance, la différence, le statut social, l’éclatement du concept de diaspora, le rapport à l’autre et le rapport au monde, la fonction de l’art, le rôle de l’artiste, etc.
Cette médiation contient, potentiellement, une ample ouverture à toutes ces questions. Enfin il ne se sent plus à l’étroit dans le champ de l’art. Son projet de « faire œuvre », conforté par ses récentes lectures de Cioran, va contribuer alors largement à justifier l’intercession d’un tel précepte. Bricoler l’incurable ! Des écrits de l’icône philosophique et littéraire contemporaine du « regard pessimiste sur le monde », il ramène à la surface la notion de « bricoler dans l’incurable » ( Emil Michel Cioran, Syllogismes de l’amertume, Gallimard, Folio Essais, Paris, 1987, p. 27. ) . La formule lui a sauté aux yeux. El baz décide de se l’approprier à sa façon.
Pour préparer son premier petit livre ( Intitulé Bricoler l’incurable, daté de 1991. disparu aujourd’hui ), il a déjà rassemblé nombre de photos des membres de sa famille. Philippe Robert ( Artiste et alors professeur à l’École des Beaux-Arts de Dunkerque ) , avec lequel il est engagé sur ce projet, lui demande de réfléchir à une appellation pour le livre. Il se replonge dans ses notes : Bricoler l’incurable devient le titre du volume. Et projetant alors d’autres éditions après celle-ci, il crée une petite maison d’édition qu’il dénomme Trabendo (Contrebande). La gestation est en marche. Les travaux se succèdent. Des pièces pour le diplôme. Les premières installations. Rapidement, tous les travaux s’enchaînent et se mettent à résonner avec cette sentence. Ce n’est pas encore un titre générique. Il faudra quelques expériences artistiques successives avant qu’il ne s’impose comme tel avec l’installation que l’artiste élabore pour sa première participation d’importance à une exposition collective : Le Milieu du monde.
En supplément à la désignation Bricoler l’incurable Mohamed El baz y adjoint la mention Détails au sens d’une partie d’un tout. Puis, il s’assure qu’il sera possible d’y ajouter, le cas échéant, une spécificité caractéristique de l’installation qui y sera attachée.
Ultérieurement, ça donnera par exemple : Bricoler l’incurable. Détails, Atterrissage forcé. Ou encore : Bricoler l’incurable. Détails, Hard days’ night ; Bricoler l’incurable. Détails, Love Supreme ; ou même : Bricole l’incurable. Détails (Valeurs véhiculaires), In all the wrong places…
L’afficher en tant que tel (à l’aide de grandes lettres prédécoupées collées sur le mur) avant de l’utiliser,de manière définitive, comme titre de toutes ses oeuvres, est une décision capitale qui consiste à présenter un élément qui, bien que fragmentaire, contient sa totalité et est en même temps « contenu par »… Un tel énoncé permet d’afficher une filiation à un état d’esprit dans la mouvance de la pensée de Cioran mais s’apparente aussi (et cen’est pas innocent) à un générique cinématographique.
Nadine Descendre
( texte extrait du livre monographique Mohamed El bAz édition skira )